« Une interdiction brutale de la chaudière gaz aurait des conséquences délétères »
Publié leL’entretien du mois du CFP, la revue technique de référence des prescripteurs, concepteurs et entreprises de Génie Climatique, Aéraulique, Froid, Plomberie-Sanitaire, Distribution Hydraulique est dédié Jean-Charles Colas-Roy.
Vice-président de Coénove depuis janvier 2023, Jean-Charles Colas-Roy est depuis le mois de février dernier président de l’association qui fédère les professionnels de l’efficacité énergétique. Il a succédé à Bernard Aulagne qui est désormais président d’honneur. Jean-Charles Colas-Roy revient sur les dernières actualités de la filière, notamment la menace qui pèse sur la chaudière gaz.
CFP : Quel est votre parcours ?
Jean-Charles Colas- Roy : Je suis ingénieur en physique/chimie diplômé de l’Institut Polytechnique de Grenoble. A l’issue de mes études, j’ai cofondé la société H3C-énergies spécialisée dans les économies d’énergies. Nous avions pour mission d’assister les maîtrises d’ouvrage et la réalisation d’audits énergétiques pour des grands bâtiments tertiaires. En parallèle, je me suis engagé en politique pour devenir conseiller municipal de la commune de Saint-Martin-d’Hères en Isère. J’ai été élu député de la 2e circonscription de l’Isère de 2017 à 2022, spécialiste de la transition écologique et énergétique au parlement. J’ai également été co-président du groupe d’études « Énergies vertes », membre du Conseil d’administration de l’Ademe et rapporteur du projet de loi mettant fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures en France. J’ai été l’un des initiateurs du fait que la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) soit une loi et non plus un décret. Cette feuille de route sera désormais étudiée tous les cinq ans devant le parlement et fera l’objet d’un débat. Elle était auparavant prise par décret uniquement au sein des ministères. En 2022, dans le cadre de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, j’ai été relais du programme « transition écologique » du président-candidat.
CFP : Un projet de concertation du gouvernement vise à orchestrer la fin prochaine des chaudières gaz, l’instar des chaudières fioul. Quelle est votre première réaction ?
JCCR : Nous sommes convaincus chez Coénove qu’il faut sortir des énergies fossiles et accélérer la rénovation des bâtiments. S’il s’agit d’une grande concertation pour réfléchir aux progrès et accélérations que nous pouvons mettre en oeuvre pour la décarbonation du bâtiment, cela nous semble vertueux et nous y participerons. En revanche, nous alertons sur les conséquences délétères que pourrait avoir une interdiction brutale de la chaudière gaz, alors même que c’est un équipement performant. Surtout que le gaz se verdit et sera à terme 100 % renouvelable et produit en France.
CFP : Vous n’êtes donc pas inquiet ?
JCCR : S’il s’agit d’une concertation, cela nous semble logique d’y participer. S’il s’agit de stigmatiser les équipements performants comme la chaudière au gaz naturel, bon marché et utilisée par plus de 12 millions de ménages en France, nous sommes inquiets.
CFP : En parlant du biogaz, d’après les objectifs de la PPE 2018-2023, il devait atteindre 6 à 7 TWh à fin 2023. Est-on dans les clous ?
JCCR : Cet objectif est d’ores et déjà atteint. Le biogaz est la seule énergie renouvelable qui a atteint et dépassé ces objectifs à fin 2022. Fin 2023, la production de biogaz atteindra entre 9 et 15 TWh, ce qui représentera 2 % de la consommation dans les réseaux en France. Non seulement il y aura une réduction de la consommation de gaz car la filière fournit des efforts de sobriété, mais en plus on soutient la trajectoire de production de biogaz. La loi de transition énergétique pour la croissance verte – qui date de 2015 – avait initialement souhaité un rehaussement des objectifs à 20 % de biogaz dans la consommation en 2030. Cet objectif de 20 % serait un pas significatif à franchir pour tendre vers les 100 % de biogaz en 2050. On réclame donc des soutiens financiers ou des mesures d’accélération, réglementaires par exemple, des pouvoirs publics dans le but d’accélérer les projets pour qu’ils se concrétisent. Nous sommes en contact avec les pouvoirs publics avec notamment France Gaz Renouvelable qui est le principal porteur de ce discours que nous relayons.
CFP : Quand en saurons-nous plus ?
JCCR : Tout va se jouer à l’été et à l’automne prochains dans les négociations de la future feuille de route au parlement pour les trajectoires des PPE 2023-2028 et 2028-2033. Le potentiel de production de gaz vert et décarboné est très présent en France, grâce à la méthanisation, la pyrogazéification et la gazéification hydrothermale. Ce sont des technologies qui méritent d’être soutenues. Le potentiel est de 420 TWh de biogaz d’ici 2050, ce qui est supérieur à la consommation de gaz projetée à cette date. On voit que la France pourrait être entièrement autonome en gaz produit localement pour alimenter les différents secteurs : industrie, agriculture, mobilité et bien entendu le bâtiment. Cela serait un vrai atout pour le pays d’atteindre l’autonomine énergétique dans ce domaine car le vecteur gaz est stockable, renouvelable et en plus produit par des emplois locaux. Le développement du biogaz apportera résilience et flexibilité à notre système énergétique.
CFP : Sur quelles actions souhaitez-vous mettre l’accent lors de votre présidence ?
JCCR : Nous portons trois grandes convictions. La décarbonation du secteur du bâtiment – qui passera par la complémentarité des énergies : des électrons décarbonées associés à des molécules de gaz vert stockables et locales –, le verdissement du gaz et la sortie des énergies fossiles. La filière du gaz dans le bâtiment innove. Le potentiel est énorme puisque la moitié des foyers peuvent passer d’une chaudière classique à une chaudière TPHE. Cela serait immédiatement 30 % d’économies d’énergie et de gain de gaz à effet de serre. Sans oublier l’hybridation des systèmes qui permet jusqu’à 70 % de baisse de consommation. Le marché de la Pac hybride est certes encore un marché de niche en France – autour de 3 000 pièces –, mais il a un énorme potentiel.
CFP : Avez-vous une crainte quant à l’électrification massive du chauffage ?
JCCR : Coénove promeut la complémentarité des énergies. Il est logique de pouvoir s’appuyer sur l’électricité décarbonée – une chance en France – mais on rappelle que pour gérer les problèmes de pointes hivernales ou d’intermittence des énergies renouvelables, il est vertueux de pouvoir s’associer à un vecteur stockage qui se verdit progressivement. Comme on assite à une électrification des usages dans les secteurs de la mobilité et de l’industrie, l’électrification à outrance du secteur du bâtiment risque d’avoir des effets contre-productifs et pourrait conduire à des difficultés d’approvisionnement en électricité. Cela rendrait la France dépendant des importations et diminuerait même son bilan énergétique si on devait dépendre d’une électricité produite à l’étranger par des centrales à charbon ou à gaz fossile. Un équilibre doit être trouvé entre les énergies. Et la résilience du biogaz est synonyme de notre capacité à gérer des aléas. Que se passera-t-il en 2035 ou en 2040 si le parc nucléaire français connaît un problématique systémique ou si le rythme de rénovation – et donc la baisse des consommations – n’est pas au rendez-vous ? Pouvoir compter sur une énergie comme le biogaz est un atout quand on fait de la prospective énergétique.
CFP : On parle aussi beaucoup de la pompe à chaleur en ce moment, avec la disparition prochaine à horizon 2026 des HFC d’après la commission environnement du parlement européen. Quel est votre ressenti ?
JCCR : La filière des pompes à chaleur est sous-tension. On observe ce qu’il se passe au niveau européen avec les restrictions autour des fluides dans les pompes à chaleur, des rumeurs en France sur l’interdiction des chaudières… On alerte sur ces stratégies qui pourraient être risquées car les Français ne doivent pas se trouver face à des impasses technico-économiques. Je le répète, nous ne se sommes pas dans la critique d’une technologie par rapport à une autre. On ne peut pas se payer le luxe d’exclure une technologie au profit d’une autre. Il faut miser sur la synergie des systèmes pour trouver la meilleure voie de passage de décarbonation..•
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