Tribune de Bernard Aulagne : la rénovation énergétique, une solution au chômage ?
Publié leDes dizaines, voire des centaines, de milliers d’emplois sont annoncés dès lors que la rénovation énergétique du bâtiment, qui fait figure de plan de relance à elle tout seule, sera engagée. Oui, mais voilà, elle tarde à s’engager. Pour bénéficier enfin de ce booster économique, il faudra probablement agir autant sur l’offre que sur la demande et réunir quelques conditions qui manquent encore aujourd’hui.
Prospective de l’emploi vert
Ce ne sont certes pas les chiffres qui manquent : déjà, le Grenelle de l’Environnement nous avait promis 600.000 emplois verts entre 2009 et 2020. Début 2013, Delphine Batho, alors ministre de l’Ecologie, annonçait la création de 100.000 emplois dans les trois ans en soulignant que « La politique de transition énergétique est l’un de nos rares leviers de relance ».
Concernant la rénovation énergétique, toujours en 2013, devant le Conseil économique, social et environnemental (Cese), Cécile Duflot, alors ministre du Logement, estimait « la création d’emplois additionnels directs et indirects respectivement à 48.000 et 26.000, soit de l’ordre de 75.000 liés au plan de rénovation énergétique de l’habitat ».
Enfin, selon Olivier Siedler, créateur du bureau d’études Enertech et co-créateur de l’association Negawatt, réussir à rénover 500.000 logements par an, objectif affiché du gouvernement, permettrait de créer 200.000 emplois dans le BTP dans les huit ans.
Réalités du moment
Où en est-on concrètement ? Dans un contexte de chômage toujours important, on a du mal à croire en ces chiffres. Pourtant, selon l’Observatoire de l’emploi et de l’investissement créé par Trendeo en 2009, les travaux de rénovation énergétique dans le bâtiment auraient en effet contribué à faire progresser l’emploi de 9% depuis 2014. Quant à la Capeb (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment), elle nous a éclairé récemment sur les derniers chiffres relatifs aux travaux : après avoir chuté pendant 15 trimestres d’affilée, l’activité des artisans du bâtiment a enfin fini par se redresser légèrement en ce début d’année. De janvier à mars 2016, la croissance de l’activité globale a été de 1%, une embellie plus perceptible dans la construction neuve (+1,5%) que dans l’entretien – rénovation (+0,5%).
Car il faut rappeler que le rythme des 500.000 rénovations par an est loin d’être atteint, voire même d’être approché, quand on constate, par exemple, que le nombre de prêt Eco-PTZ dépasse tout juste les 30.000 unités par an.
Un problème d’offre ?
Le problème est bien là. Pour que la rénovation énergétique devienne une solution, au moins partielle, au chômage, il faut que le marché décolle. Et force est de constater qu’il ne décolle pas.
Est-ce un problème d’offre ? Il est vrai que chaque rénovation s’applique à un cas particulier, un bien existant avec ses propres caractéristiques d’ancienneté, de taille, de types de matériaux ou d’équipements. Ce qui va nécessiter une approche au cas par cas et rendre délicat une véritable industrialisation de l’offre permettant une baisse des coûts et une meilleure visibilité pour le client. Dans ce contexte, le rôle des artisans en matière de diagnostic et de conseil est déterminant… sous peine d’ailleurs de voir ce marché leur échapper : dans l’une de ses dernières productions, la Fabrique Ecologique souligne que le secteur de la rénovation énergétique présente toutes les caractéristiques propres à une ubérisation prochaine : acteurs peu numérisés, marché potentiel important, insatisfaction client…
… ou de demande ?
Côté demande, les motivations sont-elles là ? Le coût d’une rénovation (10.000 € en moyenne, mais plutôt 25.000 € et plus pour une rénovation lourde), l’incertitude sur la réalité des économies, le temps de retour (27 ans parfois sur la base des économies d’énergie) semblent peser plus que l’amélioration de son confort ou la survaleur verte conférée au logement.
Dans un récent « Afterwork » organisé par Coénove, un responsable de la Caisse des Dépôts plaidait pour des signaux incitatifs forts. Le premier, un signal prix, pointant clairement les hausses inéluctables de l’énergie auxquelles les consommateurs doivent s’attendre. Le second, un signal norme, imposant par exemple une classe énergétique minimum au moment de la mutation du bien.
Olivier Siedler va plus loin en considérant qu’il faut rendre la rénovation thermique obligatoire dans les logements, comme elle va l’être dans les bâtiments tertiaires. Il prend l’exemple de l’Allemagne qui a suivi cette voie et réussit désormais à rénover près de 300.000 logements par an.
Trois conditions minimales
Alors, incitation ou obligation, pour réussir à faire décoller le marché de la rénovation énergétique de l’habitat, notamment chez les particuliers privés sur lesquels on ambitionne 380.000 rénovations par an, il faut à tout le moins réunir trois conditions :
1/ La visibilité et la pérennité des aides
Le marché de l’entretien-rénovation est historiquement soutenu par des aides et subventions – Crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), Eco-prêt à taux zéro (écoPTZ), TVA à taux réduit, etc. Les chiffres de la Capeb pour 2015 montrent que leur part dans le financement des travaux a bondi de 10 points en un an, à 21% en janvier 2016 contre 11% en janvier 2015. Les campagnes de sensibilisation des ménages aux aides disponibles pour leurs projets de rénovation énergétique semblent également porter leurs fruits et, selon un sondage réalisé par un acteur de l’immobilier, elles ont eu un rôle déclencheur pour 27% des ménages concernés.
2/ La réalité des économies d’énergies
L’exemple hollandais « EnergySprong » (le saut énergétique), rapporté par la Fabrique Ecologique, est instructif sur ce point. Pour passer d’un marché d’entretien-rénovation à celui de la rénovation énergétique lourde, une garantie de performance énergétique sur 30 ans est proposée, aux côtés d’une baisse drastique du coût des travaux par leur industrialisation permise en commençant par le logement social.
3/ La prise en compte de l’esthétique et du confort
Rendre les voisins jaloux. C’est aussi l’un des axes majeurs du programme hollandais. La motivation des particuliers passe aussi par ces éléments qui jouent un rôle clé dans les décisions d’investissement, sans doute plus que ce que les professionnels ont coutume de croire. La rentabilité sur 30 ans n’est pas un argument suffisant à lui seul, il a besoin d’être appuyé par l’amélioration du confort immédiat et du look du bien.
Une forte intensité en emplois indéniable
La rénovation énergétique lourde, même si elle se base sur des travaux « industrialisés » conserve une forte intensité en emplois qui plus est locaux. Quels que soient les scénarios de marché, y compris celui d’une « ubérisation », il faudra toujours des professionnels de proximité pour réaliser les travaux.
L’enjeu est donc de taille : pour s’engager dans cette voie, un véritable marketing de l’offre est indispensable : industrialisation des solutions par typologie de logements pour maîtriser les coûts, formation permanente des artisans à la globalité de l’offre, prise en compte de l’échelonnement des travaux, solutions de financement – prêts bancaires notamment – dédiées à la rénovation énergétique, valorisation des résultats obtenus, autant de pistes pour déboucher sur la création… d’un certain nombre d’emplois !