
3 questions à Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères
Publié leInvité d’honneur d’un Club « Une Energie d’Avance » de Coénove, Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, a accepté de répondre à nos questions et partager son analyse de la géopolitique de l’énergie et du rôle de l’Europe dans l’indispensable transition énergétique.
Quels sont, selon vous, les principaux leviers permettant à l’Europe de renforcer son autonomie énergétique dans le cadre de la « géopolitique de la transition » énergétique ?
Nous sommes en train de sortir, à marche forcée mais sans véritable pilotage stratégique, d’une géopolitique classique de l’énergie dominée par une douzaine de pays producteurs de pétrole et de gaz fossile. Mais cette transition ne nous émancipe pas des dépendances : elle les transforme. Nous passons d’une dépendance aux hydrocarbures très concentrée sur une quinzaine de pays à une dépendance plus diffuse aux technologies et aux matières premières nécessaires aux énergies renouvelables et aux batteries.
L’Europe doit donc s’organiser pour sécuriser ses approvisionnements en minerais critiques et en technologies stratégiques, tout en évitant de tomber dans l’illusion de l’autosuffisance. Il faut combiner relocalisation industrielle, diversification des fournisseurs et accords stratégiques avec les pays producteurs. Aujourd’hui, nous sommes en retard, notamment face à la Chine, qui a su prendre une avance considérable sur les panneaux solaires, les batteries et les véhicules électriques. L’Europe doit être plus réaliste et offensive dans sa politique industrielle.
Comment concilier le pragmatisme de la décarbonation de la France avec les ambitions climatiques européennes ?
Nous devons sortir de cette opposition stérile entre ambition climatique et réalisme économique. Si nous voulons avancer efficacement, il faut accepter que la transition énergétique soit d’abord une transformation industrielle et technologique, et non pas uniquement un projet militant ou idéologique. Nous sommes entrés, à reculons, dans ce que j’appelle l’écologisation. C’est un processus pourtant inévitable et vitale pour l’habitabilité de la planète !
Cela signifie que nous devons être capables de hiérarchiser nos priorités. Réduire les émissions de CO2 est essentiel, mais il faut le faire sans créer d’impasses économiques ou de tensions sociales ingérables. Par exemple, l’Europe a eu tort de tourner le dos au nucléaire, qui reste un pilier incontournable d’une transition maîtrisée. De même, une électrification à marche forcée sans prendre en compte la sécurité d’approvisionnement et le coût pour les ménages serait une erreur. L’Europe doit bâtir une transition qui soit à la fois efficace, soutenable et acceptable.
Elle ne pourra peser réellement que si elle cesse de se fixer des contraintes unilatérales qui la fragilisent et si elle adopte une approche plus stratégique et souveraine. Cela passe par des investissements massifs dans les filières industrielles clés, la sécurisation de nos approvisionnements en matières premières et une politique commerciale qui protège nos intérêts. Vouloir entraîner le reste du monde dans notre modèle de transition ne servira à rien si nous ne sommes pas nous-mêmes en position de force.
Dans le cadre d’une approche plus pédagogique et moins bureaucratique de la transition écologique, quels sont les outils que vous considérez comme prioritaires pour mieux mobiliser les citoyens et éviter le rejet des politiques climatiques ?
Le principal défi de la transition énergétique est qu’elle est perçue comme une contrainte technocratique, imposée d’en haut, sans prise en compte des réalités du terrain. Il faut donc repenser sa présentation et son application autour de trois leviers essentiels
Stabilité et clarté des politiques publiques :
- Stopper le « yo-yo réglementaire » qui brouille les repères.
- Les incitations doivent être lisibles et durables : un investissement encouragé aujourd’hui ne doit pas être remis en cause demain.
- Des solutions accessibles et crédibles : La transition ne doit pas être un luxe. Les ménages doivent y voir un bénéfice concret, sans coûts excessifs ni contraintes absurdes. Par exemple, une rénovation énergétique doit améliorer le confort et réduire les dépenses, pas se limiter à un changement d’étiquette administrative.
- Une communication positive et pragmatique : Plutôt que la contrainte et la culpabilisation, il faut mettre en avant les avantages concrets : factures réduites, cadre de vie amélioré, innovations et créations d’emplois. Mobiliser, c’est donner envie, pas imposer !
Si nous voulons réussir cette transition, nous devons la rendre désirable, compréhensible et accessible. Cela suppose de sortir de l’approche purement bureaucratique et descendante, et d’impliquer davantage les citoyens et les acteurs économiques dans la définition des trajectoires possibles.