4 questions à Raphaël Boroumand, Docteur en économie, enseignant-chercheur, expert énergie-climat

Publié le
Observatoire des solutions | Débat d’idées | 4 questions à Raphaël Boroumand, Docteur en économie, enseignant-chercheur, expert énergie-climat

En tant qu’économiste, quel regard portez-vous sur la transition énergétique ?

La transition énergétique est un concept à géométrie variable. En France, l’objectif est d’arriver à une économie neutre en carbone dans le cadre de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) 2050. Cette transition doit intégrer trois conditions : la première est de ne pas ponctionner le pouvoir d’achat des citoyens, la deuxième est de ne pas détériorer la compétitivité industrielle et enfin, la dernière est de garantir la sécurité d’approvisionnement énergétique. L’un des instruments pour réussir la transition énergétique est la fiscalité écologique. Pour offrir des résultats, la fiscalité écologique doit répondre à plusieurs principes. Elle doit être concertée, progressive, redistributive, et lisible en termes d’allocation des recettes fiscales. La fiscalité écologique est nécessaire mais non suffisante. Elle a pour objectif d’aiguiller les comportements pas de financer tous les investissements de la transition écologique. La finance verte et la rénovation énergétique des bâtiments sont d’autres leviers pour lutter contre les dommages climatiques et environnementaux.

La fiscalité écologique en France et notamment la taxe carbone semblent dans l’impasse… Quelles sont les conditions pour en sortir ?

La fiscalité écologique représente une part faible du PIB national – autour de 2 % – mais aussi une part faible des prélèvements obligatoires. Cela laisse donc une marge de manœuvre en termes de trajectoire de la taxe carbone. Pour cela, il faut respecter certains principes. Le premier principe vise à restaurer la confiance par la mise en place d’un mécanisme qui corrige l’aspect anti-redistributif de la taxe carbone. Ce mécanisme pourrait prendre, par exemple, la forme d’une prime écologique reversée aux ménages. La prime compenserait aussi la perte de pouvoir d’achat des ménages qui ne paient pas l’impôt sur le revenu – environ 45 % d’entre eux. L’objectif est que la prime intègre des éléments correctifs en fonction de la forte variabilité des prix du pétrole pour ne pas ponctionner le pouvoir d’achat des ménages (en particulier les ménages modestes et/ou ruraux davantage dépendants de leur véhicule). En France, le gouvernement pourrait envisager une approche dégressive avec une prime d’autant plus élevée que le revenu annuel d’un ménage est faible. Le second principe est que la taxe carbone doit s’inscrire dans une réforme globale de la fiscalité pour respecter la neutralité en termes d’impact sur les prélèvements obligatoires. Enfin, il faut une transparence sur l’affectation des ressources issues de la taxe carbone. Le respect de ces principes permettra l’acceptabilité sociale de la taxe carbone.

Et qu’en est-il du signal prix ?

Il faut élargir l’assiette fiscale de la taxe carbone à toutes les émissions de CO2. L’élargissement du signal-prix implique de mettre fin progressivement aux exemptions et aux niches fiscales comme c’est le cas notamment du trafic aérien ou des croisières maritimes. Il n’est pas équitable d’imposer cette taxe qu’à une partie des émissions de C02 en ciblant les automobilistes. Pour être efficace et juste, la taxe carbone élargie aux entreprises doit faire l’objet de compensations. Il faut faire attention, parce que si on renchérit le coût de l’énergie pour les entreprises, il faut accompagner la démarche d’aides ciblées pour les secteurs concernés. En effet, le renchérissement du prix de l’énergie lié à une hausse du coût de production du ciment, de l’acier, du verre… se traduira par une hausse des coûts et donc probablement des prix. La hausse des coûts peut se propager de secteur en secteur et dégrader la compétitivité-coût des entreprises françaises. Il faut donc des mesures d’accompagnement, comme une baisse des cotisations sociales par exemple. D’autres pistes existent. On reste sur le principe clé de neutralité en termes d’impact sur les prélèvements obligatoires.

Finalement, une partie de la solution ne tient-elle pas dans l’affectation de la taxe carbone dans les investissements nécessaires à la transition énergétique ?

Le réinvestissement des recettes de la taxe carbone dans la transition écologique est légitime, nécessaire, et primordial. Cependant, la logique de réinvestir 100 % dans la transition écologique est moins pertinente qu’elle ne semble. D’une part, la source d’une fiscalité écologique est une pollution, mais l’usage de cette fiscalité ne doit pas viser intégralement la transition énergétique. D’autre part, si 100 % étaient réinvestis dans la transition énergétique, la taxe carbone serait alors un impôt supplémentaire. Elle ne pourrait alors pas être également utilisée pour diminuer d’autres impôts ou charges, accompagner les ménages sous forme de primes et les entreprises par des aides. Enfin, dans la tradition fiscale française, les impôts ne sont jamais pré-affectés. Toutefois, c’est là une inquiétude légitime quand on voit que la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) a rapporté 37 milliards d’euros en 2018, et que seuls 7 milliards ont été réinvestis pour la transition énergétique (17 milliards sont allés au budget général de l’État, 12 milliards aux collectivités et 1,2 milliard aux infrastructures de transport). Les pays dans lesquels la taxe carbone a été acceptée socialement (notamment la Suède où la taxe carbone produit de bons résultats) ont une approche où des investissements significatifs et lisibles ont été réalisés pour la transition écologique parallèlement à des mesures d’accompagnement à destination des ménages et des entreprises. Au Québec, il existe un fonds climat qui a financé une vingtaine de programmes ; en Suisse, la rénovation thermique des bâtiments a été financée ; en Californie, il existe un fonds vert pour réinvestir dans la mobilité propre, la rénovation thermique des bâtiments, les énergies propres et la gestion des déchets, avec, en plus, 35 % des fonds réinvestis en faveur des ménages les moins favorisés. Il faut penser les politiques environnementale, sociale, et industrielle de manière intégrée. La lutte contre le réchauffement climatique doit faire l’objet d’un nouveau pacte social.