L’ENTRETIEN COENOVE : Sébastien Delpont, pilote EnergieSprong pour la France

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Ce mois-ci, Sébastien Delpont, Directeur associé de Greenflex et pilote de la démarche EnergieSprong pour la France répond aux questions de Coénove.

EnergieSprong, la démarche que vous animez en France, vise à déployer à grande échelle une approche globale de rénovation énergétique des logements. Vous êtes donc au cœur de la problématique de la rénovation énergétique des bâtiments en France. Comment accueillez-vous la récente annonce d’un plan national par le Ministre Hulot ?

SD : Réussir la rénovation énergétique, c’est travailler à la fois sur l’offre, le financement mais également la demande. Je retrouve, pour l’une des premières fois depuis plusieurs années, au sein de ce plan une volonté forte de s’intéresser à la demande, aux envies de rénovation. Jusqu’alors, les réflexions étaient principalement centrées sur la formation des professionnels ou la question du financement. Des sujets essentiels, mais qui n’aboutiront pas à des résultats s’il n’y a pas de demande à mettre en face.

Concernant les moyens financiers alloués, et dans le contexte tendu que nous connaissons, on peut se réjouir qu’ils n’aient pas diminués ou bien regretter qu’ils n’aient pas été massivement amplifiés. Il faut maintenant travailler sur l’affectation de ces crédits pour qu’à iso budget, leur impact soit renforcé, notamment via un ciblage plus poussé sur les segments de marchés prioritaires tels que celui des ménages précaires.

Je note également la volonté d’embrasser largement le sujet de la rénovation et de ne pas opposer rénovation par étapes, si celle-ci est pensée dans une vision globale, et la rénovation globale par exemple. Il faut avant tout soutenir ce qui fonctionne et oser tirer le marché vers le haut en soutenant des rénovations très ambitieuses, ciblant le zéro énergie comme cela est le cas dans EnergieSprong.

Justement, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est la démarche EnergieSprong et comment elle se décline sur le territoire ?

SD : Ce projet, soutenu financièrement par des fonds européens H2020 Transition Zero et INTERREG NWE E=0, vient initialement des Pays-Bas et est en cours de transposition en France. Il porte l’ambition est de massifier la rénovation lourde et d’en baisser les coûts pour la démocratiser. Il s’agit en fait d’engager un véritable changement d’échelle de la rénovation énergétique des logements, en alignant les intérêts des acteurs de tout l’écosystème et dans un contexte d’aides publiques de plus en plus contraint en engageant de gros volumes de rénovation selon ce cahier des charges.

Pour autant, il ne s’agit pas de réduire les exigences : les standards visés en rénovation sont supérieurs à ceux de la construction neuve avec l’objectif d’arriver à un bâtiment zéro énergie sur l’année avec une garantie de performance sur le temps long.

Un premier bailleur social, Vilogia, s’est engagé dans le Nord près de Lille, sur la rénovation globale de 10 logements et la pose de la première façade préfabriquée a eu lieu courant février. D’autres réalisations vont bientôt suivre, notamment 12 logements près de Amiens ou encore 4 logements près de Rennes dans le courant de l’année. Et même sur ces petits volumes, il est intéressant de noter que le coût du 2e projet est d’ores et déjà inférieur au premier et que celui du 3ème est inférieur au 2e… Les prix de ces rénovations sont encore trop chers, mais la dynamique est positivement enclenchée. Si nous ne sommes pas encore aux 2200 logements livrés aux Pays Bas, nous suivons la même courbe d’expérience que les Hollandais. Nous visons une baisse des coûts de 50% en 5 ans.

Nous sommes donc désormais rentrés dans une phase concrète avec cette première réalisation présentée dans le Nord de la France en février. Pouvez-vous revenir sur le projet et les premiers enseignements ?

SD : Il faut tout d’abord rappeler que la démarche EnergieSprong se base sur une exigence de résultats. Ainsi, les groupements qui répondent au marché sont donc totalement libres de proposer les systèmes énergétiques de leur choix, du moment que la consommation et la production du bâtiment s’équilibre. Sur Hem, le choix a été fait d’isoler très fortement le bâti pour réduire les besoins de 70%. Les 30% restants, dont la production d’eau chaude sanitaire, sont couverts par une Pompe à Chaleur (PAC) dans la mesure où ces logements étaient d’ores et déjà équipés d’un système de boucle à eau chaude et des panneaux photovoltaïques ont été installés en toiture. Avec ces équipements, les bâtiments seront en fait à énergie positive et tendront en fait vers l’énergie zéro aux alentours de la 25ème année, qui correspond à la durée de contractualisation sur le bâtiment. Une instrumentation est de toute façon prévue pour suivre les performances dans le temps. Sur ce projet, les financements européens INTERREG NWE E=0 ont permis un financement à hauteur de 60% des coûts engagés sur les 2 premiers démonstrateurs.

Devant ces premiers résultats, d’autres bailleurs sociaux – acteurs principaux de ce projet – doivent avoir envie d’y aller ?

SD : La dynamique est en effet enclenchée et les premiers appels d’offre nous ont montré que le cadre des marchés public français était adapté et que les entreprises avaient le savoir-faire. Un appel d’offre est d’ores et déjà en cours chez Est Métropole Habitat à Villeurbanne, même si ce projet a fait le choix de se concentrer uniquement sur le lot façade, étant raccordé à un réseau de chaleur. Vilogia va repartir pour la rénovation cette fois de 160 logements et plusieurs acteurs réfléchissent à faire évoluer les cahiers des charges qu’ils avaient rédigés sur des opérations de rénovation à venir pour aller vers une démarche plus globale telle que celle proposée par EnergieSprong.

Une charte d’engagement pour la rénovation de 3600 logements a été signée en septembre dernier par 36 acteurs de la filière et nous visons d’atteindre les 5000 logements au cours de cette année 2018.

Le projet suscite une vraie adhésion au sein des bailleurs sociaux, et vous l’imaginez bien, également chez les occupants et plus globalement chez tous les acteurs impliqués : architectes, mainteneurs, bureaux d’étude.

Il faut continuer la démarche et aller à la rencontre des acteurs pour susciter l’intérêt et capitaliser sur les premiers retours d’expériences, tant chez les bailleurs sociaux, que chez fournisseurs de solutions.

Le soutien financier Européen prendra fin en décembre 2018, il serait dommage que la dynamique s’arrête. La baisse des coûts grâce à la massification des projets, si elle n’est pas suffisante, est bien engagée, il va s’agir désormais de mobiliser aussi des financements nationaux pour activer ce marché, à l’image des crédits engagés par l’Allemagne à hauteur de 3 millions d’euros, de l’Italie pour 5 millions d’euros ou de l’Etat de New York pour 30 millions de dollars.

Au delà de la démarche EnergieSprong, vous accompagnez des nombreux acteurs pour qu’ils s’emparent de la Transition Energétique et que ce qui peut apparaitre en premier lieu comme des contraintes deviennent des atouts. Pouvez-vous nous parler des attentes de ces acteurs, voire des tendances qui se dessinent ?

SD : Nous travaillons beaucoup aux côtés d’industriels et d’acteurs de la grande distribution où le durable et l’énergie sont utilisés certes au service de la baisse des coûts mais également au service de leur différenciation. La réduction des dépenses énergétiques revêt une importance forte dans le secteur privé, mais cette question de la transition énergétique est aussi vu comme un moyen de recréer des liens avec les territoires et de s’insérer dans leurs projets de transition. C’est par exemple penser l’énergie en circuit court et plus largement comment ces sujets environnementaux permettent d’être beaucoup plus inclusifs. Mais ce qui est peut être le plus prégnant est l’impact de l’accord de Paris. On voit vraiment un avant et un après accord de Paris où se dessine une pression actionnariale pour prendre en compte la baisse des émissions de carbone. Des premières feuilles de route mais également des engagements se dessinent, avec finalement des entreprises qui ont compris que l’enjeu n’était pas que celui du coût de la transition mais aussi celui du manque à gagner à ne pas y aller en ce qui concerne leur réputation et de leur image de marque. Ensuite, il est évident que des signaux prix pourraient accélérer la dynamique…

Il reste encore beaucoup à faire mais je crois beaucoup à cette démarche globale qui au-delà du seul aspect environnemental ou économique, est porteuse de liens et de valeurs. J’espère que les freins ne seront pas trop nombreux pour ceux qui voudront y aller et qu’on soutiendra les pionniers. En tout cas, nous serons là pour les accompagner.